Cette clause, parfois désignée comme «d’irresponsabilité», existe bel et bien. Il s’agit d’une «clause d’indemnisation» ou «clause de garantie». Elle a pour effet de «transférer la charge de la réparation de la dette de responsabilité, des assureurs du laboratoire vers les Etats»,.. «L’idée est de transférer la prise en charge financière du risque résultant de la mise sur le marché d’un nouveau médicament, compte tenu des circonstances particulières et de l’urgence liées au Covid-19. C’est la contrepartie d’un approvisionnement prioritaire en vaccins», détaille . Ce que confirme également la Commission européenne, pour laquelle cette clause ne fait que «compenser les risques potentiels pris par les fabricants en raison du délai exceptionnellement court pour la mise au point des vaccins». «Les Etats membres sont prêts à couvrir financièrement certains risques des entreprises pour garantir que les vaccins soient effectivement disponibles pour les citoyens afin de protéger la santé publique».
La clause d’indemnisation s’impose de fait à l’Etat français, partie prenante aux accords négociés par la Commission européenne avec les laboratoires pour l’approvisionnement en vaccins. Lorsque la France passe, en application de ces contrats d’achat anticipé, des bons de commande de vaccins auprès des sociétés pharmaceutiques, elle admet implicitement se plier à toutes les clauses contenues dans le contrat-cadre européen. Raison pour laquelle un avocat marseillais attaque directement, devant le juge administratif français, les engagements conclus entre l’Etat et Pfizer – plutôt que de déposer un recours contre le texte signé par l’exécutif européen qui, ayant été négocié à Bruxelles, ne peut normalement être contesté que devant une cour belge et au regard du droit belge.
En quels termes précis est formulée cette clause ? Difficile de le savoir, parce que les versions des contrats publiés sur le site de la Commission européenne ont été masquées par endroits. Ce que l’institution justifie par «des raisons de confidentialité» : «Toutes les entreprises exigent que ces informations commerciales sensibles restent confidentielles entre les signataires du contrat.» Une confidentialité ayant «pour but d’aider à établir la confiance entre les parties, ainsi que de protéger les informations commerciales confidentielles échangées pendant les négociations et incluses dans les contrats finaux, dans l’intérêt de toutes les parties», renchérit le groupe Pfizer, sollicité par CheckNews. Mais qui a aussi pour effet d’alimenter la défiance.
La section «indemnisation» du tout premier contrat signé en novembre 2020 (avant l’autorisation du vaccin, survenue en décembre), du contrat de mars 2021 portant sur la livraison de doses de vaccin supplémentaires, ou encore de celui conclu en mai dernier et envisageant l’achat de doses d’un vaccin adapté aux variants, ne laisse voir qu’une unique phrase : «La Commission, au nom des Etats membres parties prenantes, déclare que l’utilisation des vaccins produits dans le cadre de ce contrat d’achat anticipé s’inscrira dans un contexte d’épidémie nécessitant une telle utilisation, et que l’administration des vaccins se fera donc sous la seule responsabilité des Etats membres parties prenantes.»
Des fuites de la version non caviardée du contrat-cadre ont conduit différents médias européens, dont le journal espagnol La Vanguardia, à publier des captures d’écran montrant l’intégralité du paragraphe. Qui se poursuit ainsi : «Par conséquent, chaque Etat membre doit indemniser et dégager les contractants, leurs sociétés affiliées, sous-traitants, concédants et sous-licenciés, ainsi que les dirigeants, administrateurs, employés et autres agents et représentants de chacun d’entre eux […] de et contre toutes les responsabilités encourues […] ainsi que des frais juridiques externes directs et raisonnables engagés pour se défendre des recours de tiers (y compris les honoraires d’avocat et autres dépenses raisonnables) relatives aux préjudices, dommages et pertes […] découlant de ou liés à l’utilisation et au déploiement des vaccins sous la compétence de l’Etat membre en question» (entre crochets sont retirées les références à d’autres articles du contrat).
Ainsi, la société pharmaceutique pourra être amenée à indemniser en cas de défaillance survenue dans la fabrication du vaccin (faute intentionnelle du laboratoire ou manquement grave aux règles de bonnes pratiques de fabrication). Mais après livraison des produits aux pays membres, cette charge est transférée à ces derniers. Et si la responsabilité de la firme était mise en cause devant la justice, il reviendrait à l’Etat concerné de l’indemniser, par exemple pour les frais d’avocat engagés.
Des clauses semblables sont dans les contrats conclus avec les autres laboratoires (AstraZeneca, Curevac, Moderna, Novavax, Johnson & Johnson, Sanofi), ce qui montre que l’argument des risques découlant du développement accéléré d’un vaccin a pesé dans les négociations au niveau européen.
Responsabilité difficile à démontrer
Pour autant, la clause d’indemnisation, si elle a donc des implications financières, n’a nullement pour effet de rendre Pfizer « non responsable » de son produit, ce qui serait contraire à la fois au droit national et européen (plus précisément à la directive de 1985 sur la responsabilité du fait des produits de santé défectueux, transposée dans le code civil). De plus, une telle disposition «ne modifie en rien la charge de la preuve, qui incombe réglementairement aux entreprises en vue de démontrer l’innocuité et l’efficacité de leurs produits», avance la Commission européenne.
A noter que clause ou pas, il est très difficile d’engager la responsabilité d’un laboratoire. La seule manifestation d’un effet secondaire n’y suffit pas. En vertu du droit français de la responsabilité, «les victimes doivent démontrer le défaut de sécurité du vaccin soit au regard de la présentation qui en était faite, soit au regard d’une inversion du rapport bénéfices sur risques du médicament. Elles doivent également démontrer le lien de causalité entre le défaut de sécurité et les préjudices subis. En outre, le laboratoire peut invoquer une cause d’exonération de responsabilité pour risque de développement».
C'est-à-dire se prévaloir du fait qu’en l’état des connaissances scientifiques, il n’était pas en mesure de déceler le défaut de sécurité de son produit au moment de sa mise en circulation.
Mais sans qu’il y ait besoin d’établir une quelconque responsabilité de la société ayant produit le vaccin, il est prévu que les victimes d’effets secondaires puissent obtenir indemnisations d’un préjudice subi à la suite d’une vaccination auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Cet office a la charge d’indemniser les dommages survenus à l’occasion de l’application de mesures sanitaires d’urgence, ce qui n’incluait jusque-là que la vaccination contre la grippe A (H1N1) au cours de l’hiver 2009-2010, et maintenant aussi la campagne vaccinale contre le Covid-19.
Que Pfizer soit reconnu ou non comme responsable, «c’est donc l’Etat qui indemnisera les préjudices nés de la vaccination».
sources : Jérôme Peigné.spécialiste du droit de la santé, avocat marseillais, checknews
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This clause, sometimes referred to as "non-responsibility", does exist. This is called an “indemnification clause” or “warranty clause”. It has the effect of "transferring the burden of repairing the liability debt, from the laboratory's insurers to the States",… "The idea is to transfer the financial responsibility for the risk resulting from the placing on the market of a new medicinal product, given the particular circumstances and the urgency linked to Covid-19. It is the counterpart of a priority supply of vaccines”, details . This is also confirmed by the European Commission, for which this clause only “compensates for the potential risks taken by manufacturers due to the exceptionally short time for the development of vaccines”. “Member States are ready to financially cover certain risks of companies to ensure that vaccines are effectively available to citizens in order to protect public health”.
The indemnification clause is de facto binding on the French State, a party to the agreements negotiated by the European Commission with the laboratories for the supply of vaccines. When France places, in application of these advance purchase contracts, order forms for vaccines with pharmaceutical companies, it implicitly admits to complying with all the clauses contained in the European framework contract. This is why a lawyer from Marseilles is attacking directly, before the French administrative judge, the commitments concluded between the State and Pfizer – rather than filing an appeal against the text signed by the European executive which, having been negotiated in Brussels, cannot normally only be challenged before a Belgian court and under Belgian law.
In what precise terms is this clause formulated? It's hard to know, because the versions of the contracts published on the European Commission's website have been hidden in places. What the institution justifies by "reasons of confidentiality": "All companies require that this sensitive commercial information remain confidential between the signatories of the contract." Confidentiality "aiming to help establish trust between the parties, as well as to protect the confidential commercial information exchanged during the negotiations and included in the final contracts, in the interest of all parties", adds the Pfizer group. , requested by CheckNews. But which also has the effect of fueling mistrust.
The "compensation" section of the very first contract signed in November 2020 (before the authorization of the vaccine, which occurred in December), of the contract of March 2021 relating to the delivery of additional doses of vaccine, or of the one concluded last May and considering the purchase of doses of a vaccine adapted to the variants, leaves only one sentence visible: "The Commission, on behalf of the Member States involved, declares that the use of the vaccines produced within the framework of this The advance purchase will take place in the context of an epidemic requiring such use, and that the administration of the vaccines will therefore be under the sole responsibility of the Member States involved.
Leaks of the unredacted version of the framework contract led various European media, including the Spanish newspaper La Vanguardia, to publish screenshots showing the entire paragraph. Which continues as follows: "Therefore, each Member State shall indemnify and hold harmless the contractors, their affiliates, subcontractors, licensors and sub-licensees, as well as the officers, directors, employees and other agents and representatives of each of between them […] from and against all liabilities incurred […] as well as direct and reasonable outside legal costs incurred to defend third party claims (including attorneys’ fees and other reasonable expenses) relating to prejudices, damages and losses […] arising from or related to the use and deployment of vaccines under the jurisdiction of the Member State in question” (in square brackets the references to other articles of the contract have been removed).
Thus, the pharmaceutical company may be required to compensate in the event of a failure occurring in the manufacture of the vaccine (intentional fault of the laboratory or serious breach of the rules of good manufacturing practice). But after delivery of the products to the member countries, this charge is transferred to the latter. And if the firm's liability were called into question in court, it would be up to the State concerned to compensate it, for example for the lawyer's fees incurred.
Similar clauses are in the contracts concluded with the other laboratories (AstraZeneca, Curevac, Moderna, Novavax, Johnson & Johnson, Sanofi), which shows that the argument of the risks resulting from the accelerated development of a vaccine weighed in the negotiations. …